Le modĂšle 7-S de McKinsey
Peters et Waterman ont dĂ©butĂ© leur Ă©tude au moment oĂč les entreprises amĂ©ricaines subissaient une pression conÂcurÂrenÂtielle soutenue du fait de lâinÂtenÂsiÂfiÂcaÂtion de la concurrence mondiale et plus particuliĂšrement du Japon. Leur but Ă©tait dâidentifier les raisons du succĂšs des entreprises prospĂšres amĂ©ricaines et dâen tirer les enÂseigneÂments pour les communiquer Ă dâautres entreprises. Pour ce faire, ils ont commencĂ© par isoler sept variable clĂ©s quâils ont incluses dans une matrice, en poÂsiÂtionÂnant les valeurs partagĂ©es au centre, entourĂ©es des autres variables. Cette matrice, connue sous le nom de « modĂšle 7-S de McKinsey », dĂ©ploie une sĂ©rie de termes commençant tous par la lettre S en anglais : les valeurs partagĂ©es (âshared valuesâ), les systĂšmes, le style, le personnel (âstaffâ), les compĂ©tences (âskillsâ), la stratĂ©gie et la structure. GrĂące Ă ce modĂšle, ils ont pu se concentrer sur ce quâenglobait « la gestion de lâexcellence » en commençant par analyser 75 entreprises, nombre quâils rĂ©duisirent Ă 43 par la suite.
« Il ne faut pas penser que les entreprises ne devraient pas planifier. Elles doivent bel et bien planifier. Le problĂšme est que la planÂiÂfiÂcaÂtion devient une fin en soi. »
Quelle mĂ©thodologie ont utilisĂ©e Peters et Waterman pour sĂ©lectionner leurs modĂšles dâexcellence parmi les entreprises existantes ? Ils ont tout dâabord dressĂ© une liste des entreprises reconnues par les milieux dâaffaires, les consultants, les jourÂnalÂistes spĂ©cialisĂ©s et les uniÂverÂsiÂtaires comme gĂ©nĂ©ratrices dâinnovation et dâexcellence dans six secteurs majeurs. Ils ont ensuite dĂ©fini des critĂšres minimaux dâexcellence tels que :
- Lâentreprise a enregistrĂ© une croissance sur une pĂ©riode de 20 ans.
- Lâentreprise est en bonne santĂ© Ă©conomique.
- Lâentreprise possĂšde une longue expĂ©rience en matiĂšre dâinnovation et de nouveaux produits et services.
- Lâentreprise Ă©tait capable de rĂ©agir rapidement face Ă lâĂ©volution des marchĂ©s et des conditions enÂviÂronÂnemenÂtales.
« Peu de place est laissĂ©e Ă la compĂ©tition interne dans le monde raÂtioÂnalÂiste. Une entreprise nâest pas censĂ©e entrer en compĂ©tition avec elle-mĂȘme. Portant, tout au long de notre Ă©tude sur les meilleures entreprises, nous avons pu observer de multiples exemples de ce genre de phĂ©nomĂšnes. »
Ils ont fini par sĂ©lectionner 43 entreprises dont la plupart sont encore cĂ©lĂšbres 20 ans plus tard : Hewlett-Packard, Intel, Procter & Gamble, Johnson & Johnson, Caterpillar, 3M, Marriott, McDonaldâs, Disney, Boeing, Bechtel, Exxon et Du Pont.
Mettre lâaccent sur le cĂŽtĂ© spontanĂ© des individus
Ces entreprises excellentes partageaient toutes un aspect essentiel : une bonne gestion ne se conforme pas Ă lâapproche traÂdiÂtionÂnelle du modĂšle rationnel rĂ©aliste. Les principes de ce modĂšle prĂ©dominent dans lâenÂseigneÂment des Ă©coles de gestion, enÂseigneÂment qui donne la prioritĂ© Ă la jusÂtiÂfiÂcaÂtion analytique et neutre pour toute dĂ©cision. Cependant, alors que les entreprises excellentes sont aptes Ă rassembler les chiffres, Ă les analyser et Ă utiliser les rĂ©sultats pour rĂ©soudre les problĂšmes, elles mettent Ă©galement lâaccent sur lâimportance de prĂ©senter des qualitĂ©s ânon techniquesâ : dĂ©vouement envers les clients, volontĂ© de donner aux employĂ©s le sentiment dâĂȘtre des gagnants. Elles font la part belle au « cĂŽtĂ© spontanĂ© des individus ». Ces entreprises ont parÂfaiteÂment compris que les individus nâagissent pas toujours de maniĂšre rationnelle et que les Ă©motions motivent les employĂ©s et les clients. De fait, les huit principes dâune gestion efficace dans les entreprises prospĂšres sâarticulent esÂsenÂtielleÂment autour de lâindividu.
« Nous pensons tous ĂȘtre les meilleurs. Nous faisons preuve dâune irÂraÂtionalitĂ© forcenĂ©e et folle Ă notre propre sujet, et cela a de profondes consĂ©quences sur le plan de lâorÂganÂiÂsaÂtion. Cependant, la plupart des entreprises ont une vision nĂ©gative de leur personnel. »
Certaines mettent en avant la rationalitĂ© et lâintuition. La rationalitĂ© peut alimenter le moteur dâune entreprise, mais peut prĂ©senter certains dĂ©fauts si lâon y attache trop dâimportance, tels que : un Ă©tat dâesprit exagĂ©rĂ©ment nĂ©gatif et prompt Ă porter des jugements, une rĂ©ticence Ă tenter des expĂ©riences et faire des erreurs, une prĂ©fĂ©rence pour la complexitĂ© et une inÂflexÂiÂbilitĂ©, un abandon de la simplicitĂ© et un dĂ©nigrement des valeurs.
« Le petit groupe est le plus Ă©vident des dispositifs de morÂcelleÂment. Les petits groupes sont, tout simplement, la pierre angulaire des meilleures entreprises. »
Par contraste, les Ă©lĂ©ments de motivation qui inspirent les reÂsponÂsÂables, employĂ©s et clients sont issus de qualitĂ©s irÂraÂtionnelles et intuitives (le cerveau droit). Par exemple, les individus aiment se considĂ©rer comme des gagnants, mĂȘme sâils ne sont pas aussi efficaces quâils le pensent
Les individus trouvent plus facile dâapprendre Ă lâaide de systĂšmes et procĂ©dures simples : seuls quelques objectifs ou inÂstrucÂtions sont nĂ©cessaires, nul besoin dâune liste inÂterÂminable. De mĂȘme, le renÂforceÂment positif est plus efficace que le renÂforceÂment nĂ©gatif pour encourager les individus. Les huit principes caractĂ©risant les entreprises excellentes sont positifs par essence, centrĂ©s sur les individus et offrent une approche plus sensible et intuitive de la gestion des entreprises. Ces huit principes sont les suivants :
Principe n° 1 : Un parti pris pour lâaction
Les entreprises excellentes ont un parti pris pour lâaction et utilisent des unitĂ©s opĂ©raÂtionnelles Ă court terme, constituĂ©es de petits groupes dâindividus qui enÂtreÂprenÂnent des actions rapidement. Cette dĂ©marche contraste totalement avec le fait de travailler avec un groupe plus important, qui Ćuvre pendant plusieurs mois et produit un rapport inÂterÂminable. Ces petits groupes dĂ©passent souvent les barriĂšres strucÂturelles traÂdiÂtionÂnelles de lâentreprise. Ils se forment pour traiter un projet particulier et mettent Ă conÂtriÂbuÂtion les compĂ©tences esÂsenÂtielles de leurs membres.
« Le plus dĂ©courageant dans la vie des grandes entreprises câest la disparition de la source mĂȘme de leur dĂ©veloppement initial : lâinnovation. »
Certaines entreprises, telle que Walt Disney, encouragent la comÂmuÂniÂcaÂtion en adoptant la « politique du prĂ©nom ». IBM ou Delta Airlines ont optĂ© pour une « politique de portes ouvertes ». La technique appelĂ©e « segÂmenÂtaÂtion » favorise Ă©galement ce penchant pour lâaction. La « segÂmenÂtaÂtion » implique de « sĂ©parer les Ă©lĂ©ments » pour rendre lâorÂganÂiÂsaÂtion plus fluide et favoriser lâaction. La segÂmenÂtaÂtion peut se prĂ©senter sous diverses formes : crĂ©ation dâĂ©quipes ou dâunitĂ©s opĂ©raÂtionnelles, orÂganÂiÂsaÂtion de cercles de qualitĂ©, Ă©tabÂlisseÂment de centres de projets et mise en place dâ« unitĂ©s de travail secrĂštes » (domaines secrets dâinnovation)... Cette dĂ©marche implique de faire du petit groupe dâaction un pivot essentiel de lâorÂganÂiÂsaÂtion.
« Nous ne parlons pas de paÂterÂnalÂisme. Nous parlons dâun respect tenace de lâindividu et de la volontĂ© de le former, de lui fixer des objectifs clairs et raisonnables, et de lui laisser la possibilitĂ© de se mettre en avant et de contribuer directement Ă son travail. »
La volontĂ© des entreprises de tenter des expĂ©riences favorise lâaction. Elles se risquent Ă mettre en place de nouveaux projets et Ă commettre des erreurs. Si ces tentatives Ă©chouent, elles mettent rapidement un terme Ă leur dĂ©veloppement. Les innovations qui foncÂtionÂnent peuvent ĂȘtre apÂproÂfondies, comme ce fut le cas pour de nombreuses dĂ©couvertes dans le domaine des nouveaux plastiques et moteurs dâavion. La simÂpliÂfiÂcaÂtion des systĂšmes permet Ă©galement dâagir plus facilement. Elle consiste Ă rĂ©duire les plans dâaction Ă quelques objectifs ou Ă©tapes importantes, et Ă Ă©laborer de courts mĂ©mos (une Ă deux pages maximum). Cette dĂ©marche clarifie le champ dâaction.
Principe n° 2 : Proche du client
Les entreprises excellentes suivent un deuxiĂšme principe essentiel : elles sont proches du client. Elles nâont de cesse de proposer au client qualitĂ©, fiabilitĂ© et service. Elles sont dâavantage motivĂ©es par leur orientation directe vers leurs clients que par la technologie ou la volontĂ© de produire Ă moindre coĂ»t.
« Nous nous demandons sâil est possible dâĂȘtre une entreprise exemplaire sans des valeurs claires et de la bonne espĂšce. »
Cet engagement implique parfois dâenÂtreÂprenÂdre des actions qui paraissent Ă©conomiqueÂment insensĂ©es Ă court terme. Cette dĂ©marche permet toutefois, Ă long terme, de fidĂ©liser le client.
Ces entreprises insistent Ă©galement auprĂšs de leurs employĂ©s sur lâimportance de privilĂ©gier les intĂ©rĂȘts des clients et les entraĂźnent Ă dĂ©velopper cette approche par souci de proposer qualitĂ© et fiabilitĂ©. Citons par exemple lâobsession de McDonaldâs pour la propretĂ©, la volontĂ© dâHP dâatteindre des « objectifs de qualitĂ© » dans son programme de « Gestion par objectifs », et la tendance de Digital Ă privilĂ©gier la fiabilitĂ©, au dĂ©triment parfois de son avancĂ©e techÂnologique.
« Taille et complexité vont de pair, hélas. Et la plupart des grandes entreprises répondent à la complexité par la complexité, en adoptant des systÚmes et des structures compliqués. »
Pour de nombreuses entreprises, cette volontĂ© de servir le client induit de trouver une niche oĂč lâentreprise peut exceller. Les coĂ»ts et la technologie ne motivent gĂ©nĂ©ralement pas les entreprises excellentes : elles sont soucieuses de la qualitĂ©, motivĂ©es par le service, la fiabilitĂ© ou la volontĂ© dâoccuper des secteurs niches Ă forte valeur ajoutĂ©e. Ătre proche du client signifie possĂ©der de bonnes compĂ©tences dâĂ©coute et comprendre ce que les utilÂisaÂteurs des produits ou services souhaitent rĂ©ellement. Ainsi, les suggestions des clients permettent dâinnover et de procĂ©der Ă des dĂ©veloppeÂments futurs, si bien que la plupart de leurs innovations rĂ©elles sont vĂ©ritablement issues du marchĂ©.
Principe n° 3 : Autonomie et esprit dâentreprise
Pour instaurer un esprit dâentreprise et dâautonomie, les meilleures entreprises encouragent leurs employĂ©s Ă devenir des champions de lâinnovation, et les chercheurs Ă explorer de nouveaux horizons. Ces entreprises reÂconÂnaisÂsent et rĂ©compensent les champions Ă diffĂ©rents niveaux. En outre, elles tolĂšrent lâĂ©chec : elles admettent que les expĂ©riences ne foncÂtionÂnent pas toujours.
Principe n° 4 : La productivité grùce aux individus
Les entreprises excellentes respectent lâindividu et lui fournissent une formation adĂ©quate, dĂ©finissent des objectifs clairs et raisonnables, et lui accordent une autonomie pratique pour prendre des initiatives et pouvoir apporter une conÂtriÂbuÂtion Ă sa fonction. Elles ont appliquĂ© cette approche de diverses maniĂšres. Par exemple, Delta encourage lâesprit familial au sein de lâentreprise. HP croit en la « gestion itinĂ©rante ». Cette approche peut parfois donner lieu Ă diverses cĂ©lĂ©brations et Ă lâauÂtoÂconÂgratÂuÂlaÂtion, mais ce genre dâaction tape-Ă -lâĆil fonctionne : il permet aux individus de se sentir bien et motivĂ©s.
Principe n° 5 : Implication au service des valeurs
Les entreprises excellentes sâimpliquent et mettent lâaccent sur leurs valeurs. Elles expriment clairement leur position et prennent trĂšs au sĂ©rieux le processus de crĂ©ation de valeurs. Elles possĂšdent un systĂšme de valeurs-guides bien dĂ©fini, auquel doivent adhĂ©rer leurs employĂ©s. Elles Ă©laborent des histoires, lĂ©gendes et mythes qui soutiennent leurs valeurs au sein de leur culture orÂganÂiÂsaÂtionÂnelle.
Principe n° 6 : Sâen tenir Ă lâessentiel
Les entreprises excellentes se concentrent sur un domaine clĂ© dans lequel elles excellent. Par exemple, 3M table sur des produits qui utilisent sa technologie de revĂȘtement et de collage, et sâaligne sur des entreprises positionnĂ©es dans des domaines connexes. Ă lâinverse, les entreprises qui sâengagent dans une stratĂ©gie de diÂverÂsiÂfiÂcaÂtion touchant Ă plusieurs domaines connaissent souvent lâĂ©chec.
Principe n° 7: Structure simple et personnel limité
Ces entreprises suivent le principe « structure simple et personnel limitĂ© ». Elles essaient de garder leurs rĂšgles, procĂ©dures et structure de gestion aussi simplifiĂ©es que possible. Cette flexibilitĂ© leur permet de rĂ©agir rapidement face Ă lâĂ©volution des conditions existantes.
Principe n° 8 : Flexible et rigide à la fois
Enfin, ces entreprises excellentes allient direction centrale et libertĂ© inÂdiÂviduÂelle. Elles ont mis en place des contrĂŽles rigides, mais restent flexibles et ouvertes au changement. Lâessence de ce principe rĂ©side dans le fait que lâentreprise permet la coexistence dâune direction centrale ferme et dâune autonomie inÂdiÂviduÂelle maximale.