Ăvaluation des styles de nĂ©gociations : ferme ou souple
La nĂ©gociation, sous sa forme traÂdiÂtionÂnelle, implique de sucÂcesÂsiveÂment prendre et dâabandonner une position. Les deux parties se disputent un point de vue et restent campĂ©es dans leurs certitudes inÂdiÂviduÂelles. Dans sa forme standard, ce type de nĂ©gociation poÂsiÂtionÂnelle nĂ©cessite de prendre de nombreuses dĂ©cisions distinctes (que doit-on proposer, que doit-on rejeter, quelle concession doit-on faire). Ce processus est difficile et fastidieux. Certaines tactiques, telles que tergiverser ou menacer dâabandonner, deviennent courantes. La nĂ©gociation poÂsiÂtionÂnelle augmente le temps et le coĂ»t nĂ©cessaires pour parvenir Ă un consensus, ainsi que le risque de ne parvenir Ă aucun accord. La conÂfrontaÂtion des volontĂ©s compromet et brise les relations. Les sentiments amers peuvent perdurer une vie entiĂšre.
« Si lâon choisit de jouer en douceur la nĂ©gociation sur des positions en face dâun adversaire qui, lui, a choisi dâĂȘtre dur, on risque fort dây laisser sa chemise. »
De nombreuses personnes reÂconÂnaisÂsent le risque de pratiquer une nĂ©gociation poÂsiÂtionÂnelle ferme et adoptent une approche plus souple. Elles traitent lâautre camp en ami et soulignent que leur objectif est de parvenir Ă un accord plutĂŽt que dâobtenir la victoire. Cette manĆuvre est efficace pour parvenir rapidement Ă un accord, mais ces accords peuvent ne pas ĂȘtre aussi pertinents que ceux qui prennent en considĂ©ration les intĂ©rĂȘts sous-jaÂcents de chaque partie. Toute nĂ©gociation motivĂ©e par la volontĂ© de prĂ©server la relation risque de se conclure par un accord biaisĂ©. Ainsi, ceux qui optent pour une nĂ©gociation poÂsiÂtionÂnelle souple sont vulnĂ©rables face Ă ceux qui adoptent une approche plus ferme.
Changement de la donne
Faut-il nĂ©gocier de maniĂšre souple ou ferme ? Ni lâun ni lâautre : changez la donne. Le Harvard Negotiation Project a dĂ©veloppĂ© une alternative : la ânĂ©gociation de principeâ ou ânĂ©gociation basĂ©e sur le mĂ©riteâ, qui sâarticule autour de quatre points clĂ©s :
- Les individus : Les ĂȘtres humains ne comÂmuÂniquent pas clairement et dĂ©fendent leur position de maniĂšre Ă©goĂŻste. AtÂtaquez-vous au problĂšme et non aux gens.
- Les intĂ©rĂȘts : Tenez compte des intĂ©rĂȘts de tous pour Ă©viter que chacun ne campe sur ses positions. Focalisez votre attention sur les intĂ©rĂȘts et non sur les positions. Veillez Ă satisfaire les intĂ©rĂȘts qui ont conduit chaque partie Ă adopter sa position.
- Les options : Le fait de devoir prendre des dĂ©cisions en prĂ©sence de votre adversaire limite votre capacitĂ© de disÂcerneÂment. Si lâenjeu est considĂ©rable pour vous, ou si vous passez votre temps Ă chercher la solution parfaite, vous risquez dâinhiber votre crĂ©ativitĂ©. Pour Ă©viter cet Ă©cueil, fixez-vous un dĂ©lai pour dĂ©finir les solutions et options possibles qui servent les intĂ©rĂȘts communs et Ă©tudiez les diffĂ©rences de maniĂšre crĂ©ative.
- Les critĂšres : Certains nĂ©gociateurs obtiennent ce quâils veulent en Ă©tant simplement bornĂ©s. Contrez ce genre de nĂ©gociateurs en insistant sur le fait quâune seule voix ne suffit pas. Exigez que lâaccord soit Ă©tabli sur la base dâun âcritĂšre objectifâ, indĂ©pendant des desiderata de chaque partie. Fixez les conditions sur la base de critĂšres impartiaux tels que la valeur de marchĂ©, lâopinion des experts, lâusage courant ou la loi. Aucune des deux parties nâest censĂ©e abandonner et devra travailler avec lâautre camp pour aboutir Ă une solution acceptable.
« Si lâon nâest guĂšre tentĂ© par lâune ou lâautre des tactiques de la nĂ©gociation classique, il faut changer le jeu. »
DĂ©finition dâun âseuil non nĂ©gociableâ Pour se protĂ©ger dâun mauvais rĂ©sultat, les nĂ©gociateurs dĂ©terminent le pire rĂ©sultat acceptable, ou âseuil non nĂ©gociableâ, afin de les aider Ă rĂ©sister aux pressions et tentations du moment. Cette protection a cependant un coĂ»t Ă©levĂ©. Si vous dĂ©cidez Ă lâavance que rien de ce que pourrait dire lâautre partie ne pourrait vous faire revoir votre âseuil non nĂ©gociableâ, vous limitez votre capacitĂ© Ă utiliser ce que vous apprenez au cours de la nĂ©gociation. Ce seuil est gĂ©nĂ©ralement trop strict, inhibe lâimagination et freine lâinitiative de crĂ©er une solution personnalisĂ©e.
Déterminez votre MESORE
Un âseuil non nĂ©gociableâ peut vous empĂȘcher de conclure un trĂšs mauvais accord, mais il peut aussi vous empĂȘcher dâenvisager une solution quâil serait sage dâaccepter. PlutĂŽt que de dĂ©finir un âseuil non nĂ©gociableâ, vous pouvez identifier votre âMeilleure Solution de Rechangeâ (MESORE). Comparez chaque accord proposĂ© Ă cette norme. Ainsi, vous Ă©viterez dâaccepter des accords dĂ©sastreux et ne risquerez pas de passer Ă cĂŽtĂ© dâaccords intĂ©ressants. Une MESORE est suffÂisamÂment souple pour permettre de chercher des solutions crĂ©atives. Comparez votre proposition Ă votre MESORE pour dĂ©finir celle qui sert au mieux vos intĂ©rĂȘts.
« Le fait dâĂ©tablir une nette distinction entre les aspects personnels de la nĂ©gociation et son contenu permet de traiter directement et honnĂȘtement avec son adversaire, ce qui est la meilleure façon de conclure un accord Ă lâamiable. »
Si vous ne rĂ©flĂ©chissez pas suffÂisamÂment Ă votre MESORE, vous nĂ©gociez les yeux fermĂ©s. Vous risquez de faire preuve dâun excĂšs dâoptimisme en pensant disposer de plusieurs options. Une fois dĂ©finie votre MESORE, rĂ©flĂ©chissez-y soigneuseÂment pour prendre conscience de ses consĂ©quences (procĂšs, divorce contestĂ©, grĂšve...). Il est Ă©galement dangereux de trop sâengager Ă conclure un accord. RĂ©pondez Ă la question suivante : « Que se passe-t-il si les nĂ©gociations Ă©chouent ? ». Ce processus est essentiel si vous envisagez de mener corÂrecteÂment les nĂ©gociations. Lors de ces derniĂšres, votre force est liĂ©e Ă la qualitĂ© de votre MESORE et non Ă des ressources telles que la richesse, la force physique ou les contacts politiques. La richesse peut mĂȘme constituer un dĂ©savantage pour quiconque souhaitÂerait nĂ©gocier une baisse de prix. La puissance nĂ©gociatrice relative dĂ©pend de ce que chaque partie pense du fait de ne pas parvenir Ă un accord.
Ălaboration de votre MESORE
Suivez ces trois Ă©tapes distinctes pour Ă©laborer des MESORE poÂtenÂtielles. Dressez, tout dâabord, une liste dâactions Ă prendre en cas dâĂ©chec de lâaccord. Ensuite, dĂ©veloppez les idĂ©es prĂ©sentant le potentiel le plus Ă©levĂ© et transÂformez-les en alÂterÂnaÂtives pratiques. Enfin, sĂ©lectionnez la meilleure alternative qui constituera votre MESORE. Il est plus facile dâamĂ©liorer les termes dâun accord nĂ©gociĂ© Ă lâaide dâune MESORE efficace. Le fait de savoir oĂč vous allez vous donnera suffÂisamÂment dâassurance pour rompre les nĂ©gociations. La volontĂ© de les rompre vous permet de dĂ©fendre plus faroucheÂment vos intĂ©rĂȘts.
RĂ©flexion sur la MESORE de lâautre partie
Ătudiez la MESORE de lâautre partie pour mieux vous prĂ©parer aux nĂ©gociations. Le fait de connaĂźtre ses alÂterÂnaÂtives vous permet dâĂ©valuer ce Ă quoi vous pouvez vous attendre au cours des nĂ©gociations. Si sa MESORE est efficace au point quâelle nâaura pas besoin dâen nĂ©gocier les mĂ©rites, rĂ©flĂ©chissez Ă ce que vous pouvez faire pour la modifier. Lorsque les deux parties prĂ©sentent des MESORE intĂ©ressantes, il peut ĂȘtre prĂ©fĂ©rable de ne pas conclure dâaccord. Dans ce cas-lĂ , une nĂ©gociation efficace peut vous amener Ă dĂ©cider amicalement et efÂfiÂcaceÂment Ă chercher ailleurs.
Jujitsu de la négociation
Si lâapproche utilisant une MESORE Ă©choue, vous pouvez adopter une stratĂ©gie qui tienne compte des possibilitĂ©s dâaction de lâautre partie. Il faut alors contrer les mouvements de base de la nĂ©gociation poÂsiÂtionÂnelle pour reporter lâattention sur le bien-fondĂ© de lâaccord. Ce processus est appelĂ© âjujitsu de la nĂ©gociationâ. Lorsque vous jouez le jeu de la nĂ©gociation poÂsiÂtionÂnelle, le fait de dĂ©fendre votre position vous dessert et le fait dâattaquer la position adverse braque lâautre partie. Les gens perdent beaucoup de temps et dâĂ©nergie Ă alterner des phases stĂ©riles dâattaque et de dĂ©fense. Que faire si la stratĂ©gie dâattaque ne fonctionne pas ? Nâinsistez pas. Lorsquâils attaquent, ne vous dĂ©fendez pas. Brisez le cycle en refusant de rĂ©agir. En pratique, le jujitsu de la nĂ©gociation permet de contrer trois offensives typiques : 1) Lâaffirmation Ă©nergique de la position adverse, 2) lâattaque contre vos idĂ©es et 3) lâattaque personnelle.
- Lâaffirmation Ă©nergique de la position adverse : Lorsque lâautre partie donne son avis, ne lâattaquez pas. EnÂvisÂagez-le comme une option possible et rĂ©flĂ©chissez Ă la maniĂšre de lâamĂ©liorer. DĂ©couvrez quels sont les intĂ©rĂȘts sous-jaÂcents. Supposez que chaque opinion constitue une rĂ©elle tentative de tenir compte des dĂ©sirs de chaque partie. DĂ©terminez comment cette option traite le problĂšme. Ătudiez son point de vue et dans quelle mesure cette option sert les intĂ©rĂȘts de chaque partie, ou comment elle peut ĂȘtre amĂ©liorĂ©e dans ce but. Pour discuter de lâamĂ©lioration des options enÂvisÂageÂables, imaginez ce quâil adviendrait si le point de vue adverse Ă©tait acceptĂ©. Lorsquâelle comprend Ă quel point cette option est irrĂ©aliste de votre point de vue, lâautre partie est plus encline Ă envisager des alÂterÂnaÂtives.
- Lâattaque contre vos idĂ©es : Lorsque vos idĂ©es sont attaquĂ©es, ne les dĂ©fendez pas. Acceptez les critiques et les conseils. Ătudiez les jugements nĂ©gatifs de lâautre partie : vous pouvez dĂ©finir ses intĂ©rĂȘts sous-jaÂcents et amĂ©liorer vos idĂ©es de son point de vue. Faites de la critique un Ă©lĂ©ment inÂdisÂpensÂable Ă la bonne marche du processus. Demandez conseil. Mettez la partie adverse Ă votre place et deÂmanÂdez-lui ce quâelle ferait. Cette dĂ©marche lui permet de se confronter Ă votre partie du problĂšme et de proposer une solution qui rĂ©ponde Ă vos attentes.
- Lâattaque personnelle : RĂ©sistez Ă la tentation de vous dĂ©fendre lorsque lâattaque devient personnelle. DĂ©tendez-vous et laissez lâautre nĂ©gociateur se dĂ©fouler. Ăcoutez-le et montrez que vous comprenez ses propos. Ensuite, redirigez cette attaque contre le problĂšme lui-mĂȘme.
« On gagne en pouvoir en imaginant des solutions élégantes. »
Lorsque vous pratiquez le jujitsu de la nĂ©gociation, utilisez les deux outils clĂ©s suivants : formulez des questions et non des afÂfirÂmaÂtions, et usez du silence comme dâune arme. Les questions appellent des rĂ©ponses alors que les afÂfirÂmaÂtions engendrent la rĂ©sistance. Les questions permettent Ă lâautre camp dâillustrer ses propos et de confronter le problĂšme. Enfin, elles permettent de sâinformer et dâĂ©viter la critique. Le silence, quant Ă lui, crĂ©e la sensation dâĂȘtre bloquĂ© dans une impasse. Si vous posez une question franche et obtenez une rĂ©ponse inÂsuffÂisante, patientez. Lorsque les gens doutent de leurs propos, le silence peut devenir trĂšs inÂconÂfortÂable. Lâautre partie se sentira souvent contrainte de rompre le silence en rĂ©pondant Ă votre question de maniĂšre plus dĂ©taillĂ©e ou en faisant une nouvelle suggestion. Posez des questions puis patientez. Un des Ă©lĂ©ments les plus efficaces de votre nĂ©gociation est votre silence.
La procédure du texte unique : faire appel à un médiateur
Lorsque toutes les manĆuvres prĂ©cĂ©dentes Ă©chouent, une tierce partie peut ĂȘtre appelĂ©e en dernier recours. Les mĂ©diateurs peuvent permettre aux parÂticÂiÂpants de prendre plus facilement du recul par rapport au problĂšme et dâorienter la discussion vers leurs intĂ©rĂȘts et leurs options. Ils peuvent souvent suggĂ©rer une base impartiale pour prendre les dĂ©cisions et rĂ©duire le nombre de dĂ©cisions nĂ©cessaires pour parvenir Ă un accord. La âprocĂ©dure du texte uniqueâ est conçue pour permettre aux mĂ©diateurs dâatteindre ces objectifs. Tout dâabord, le mĂ©diateur demande aux parÂticÂiÂpants pour quelles raisons ils souhaitent obtenir quelque chose et non ce quâils souhaitent obtenir. Il rĂ©affirme ensuite quâil nâexige dâaucune partie quâelle abandonne sa position et quâil nâest lĂ que pour identifier la possibilitĂ© dâĂ©mettre des recomÂmanÂdaÂtions.
« On gagne en pouvoir en employant des critÚres externes de légitimité. »
Les mĂ©diateurs utilisent ces inÂforÂmaÂtions pour dresser une liste des intĂ©rĂȘts et des besoins. Ils demandent ensuite Ă chaque partie de commenter la liste et de lâamĂ©liorer. Il est plus facile de critiquer que de faire des concessions. Les mĂ©diateurs utilisent la critique pour crĂ©er une Ă©bauche dâaccord. Ils reÂconÂnaisÂsent que lâaccord comporte de nombreuses failles, mais ils souhaitent obtenir la parÂticÂiÂpaÂtion de chaque partie afin de lâamĂ©liorer. Cette parÂticÂiÂpaÂtion sert Ă crĂ©er une seconde Ă©bauche, certes incomplĂšte, mais meilleure que la premiĂšre. Et ainsi de suite, jusquâĂ obtenir une troisiĂšme, une quatriĂšme voire une cinquiĂšme Ă©bauche. Les mĂ©diateurs continuent jusquâĂ ce quâils estiment ne plus pouvoir amĂ©liorer lâĂ©bauche. Ă ce stade, ils prĂ©sentent le plan Ă chaque partie, qui nâa plus quâune dĂ©cision Ă prendre : oui ou non. La procĂ©dure du texte unique change les rĂšgles du jeu et simplifie le processus de crĂ©ation dâoptions et de prise de dĂ©cision. Elle est inÂconÂtournÂable dans toute nĂ©gociation multilatĂ©rale majeure.