Halte Ă  la croissance

Livre Halte Ă  la croissance

Chelsea Green Publishing,
Également disponible en : Anglais


Com­men­taires

La lecture de ce livre n’est ni facile ni agrĂ©able. Cependant, ce n’est pas l’opus pessimiste prĂ©disant un terrible destin au monde ni le tract Ă©cologiste enragĂ© que les critiques ont dĂ©crit lors de sa premiĂšre publication il y a 30 ans. C’est plutĂŽt le croisement entre un livre traitant des rudiments en matiĂšre de prĂ©visions budgĂ©taires et l’aver­tisse­ment qu’un mĂ©decin pourrait donner Ă  un fumeur en surpoids. Un bon budget repose sur quelques principes de base : les ressources sont limitĂ©es, vous devez planifier pour l’avenir et si vous dĂ©pensez trop maintenant, vous Ă©puiserez ces ressources plus tard. Donella Meadows, Jorgen Randers et Dennis Meadows ont analysĂ© la con­som­ma­tion des ressources, la dis­tri­b­u­tion Ă©conomique, la croissance dĂ©mographique et la pollution, et leurs conclusions se rĂ©sument somme toute Ă  une tentative de rĂ©orienter l’humanitĂ© sur la voie d’une sociĂ©tĂ© plus Ă©quitable et durable. L’effort qu’exige la lecture de ce livre est, d’une part, dĂ» Ă  son contenu rĂ©dactionnel, qui varie de maniĂšre sensible en style, en ton et en structure, et d’autre part aux dĂ©fis propres liĂ©s au thĂšme lui-mĂȘme. BooksInShort recommande nĂ©anmoins la lecture de cet ouvrage Ă  quiconque souhaite planifier l’avenir de maniĂšre rĂ©aliste, que vous soyez un chef d’entreprise souhaitant vous engager dans une activitĂ© Ă©conomique durable, un dirigeant national voulant crĂ©er des in­sti­tu­tions humaines prospĂšres, un membre d’une communautĂ© prĂ©occupĂ© par la pollution locale, ou un parent refusant que ses enfants grandissent sur des terres dĂ©vastĂ©es.

Points Ă  retenir

  • Croissance ne signifie pas progrĂšs.
  • La croissance a ses limites.
  • L’humanitĂ© a surexploitĂ© l’en­vi­ron­nement jusqu’à atteindre un point oĂč ce dernier ne pourrait plus se relever.
  • Si la race humaine ne modifie pas rad­i­cale­ment sa trajectoire, cela engendrera un dĂ©sastre Ă©cologique.
  • MĂȘmes les ressources naturelles qui ne manifestent encore aucun signe de pĂ©nurie deviennent de plus en plus chĂšres et difficiles d’accĂšs.
  • Tous les systĂšmes possĂšdent des mĂ©canismes de rĂ©troaction plus ou moins longs Ă  mettre en place. L’humanitĂ© dĂ©couvre en ce moment mĂȘme les rĂ©sultats des mĂ©canismes de rĂ©troaction de la nature.
  • L’un des facteurs d’un ef­fon­drement Ă©cologique probable est que la plan­i­fi­ca­tion Ă©conomique Ă  court terme s’intĂ©resse seulement au futur proche.
  • La plan­i­fi­ca­tion Ă©conomique humaine est Ă©galement locale : elle ne s’intĂ©resse qu’aux rĂ©sultats qui se trouvent Ă  sa portĂ©e.
  • Le changement n’est pas seulement nĂ©cessaire, il est Ă©galement possible.
  • La sociĂ©tĂ© doit apprendre Ă  devenir durable.
 

Résumé

Aller au-delà des limites et ses conséquences

L’humanitĂ© est en Ă©tat de surchauffe. Trois causes communes contribuent Ă  cet Ă©tat :

  1. La croissance, l’accĂ©lĂ©ration et le changement rapide perturbent le systĂšme.
  2. Poussé au-delà de ses limites naturelles, le systÚme ne peut rester intact.
  3. Percevoir le problĂšme en retard peut allonger les dĂ©lais de rĂ©action face Ă  l’état de surchauffe ou son in­ter­rup­tion.
« Qu’il y ait des limites Ă  la croissance est tout simplement in­imag­in­able pour beaucoup. En faire mention est politi- quement incorrect tout comme il est impensable d’envisager cette option d’un point de vue Ă©conomique. »

Les signes les plus manifestes de surchauffe dans le monde d’aujourd’hui sont l’explosion dĂ©mographique et la pollution massive, signes dont la cause sous-ja­cente est l’addiction de notre civil­i­sa­tion Ă  la croissance. Tout le monde ou presque associe croissance et progrĂšs. Cette croyance est avĂ©rĂ©e en ce qui concerne la richesse in­di­vidu­elle, mais elle ne l’est pas dans le cas des systĂšmes, qui ont leurs propres limites. L’humanitĂ© changera peut-ĂȘtre sa façon d’agir et crĂ©era une civil­i­sa­tion durable, ou peut-ĂȘtre subira-t-elle une terrible catastrophe.

Les riches s’en­richissent

L’ac­croisse­ment dĂ©mographique est ‘exponentiel’. De 1650 Ă  1965, le taux de croissance dĂ©mographique est passĂ© de 0,3 % Ă  2 %, un chiffre qui permettrait thĂ©oriquement un doublement de la population tous les 36 ans. Fort heureuse­ment, le rythme de croissance s’est ralenti, en raison d’un phĂ©nomĂšne connu sous le nom de ‘transition dĂ©mographique’, phĂ©nomĂšne qui intervient en moyenne deux gĂ©nĂ©rations aprĂšs l’in­dus­tri­al­i­sa­tion d’une rĂ©gion. La croissance Ă©conomique est Ă  la fois cause et victime de la croissance dĂ©mographique. Au cours de notre histoire rĂ©cente, l’économie a progressĂ© de maniĂšre ex­po­nen­tielle et plus rapidement que la population, dans un cycle positif de croissance et de rĂ©in­vestisse­ment. L’abondance des ressources a encouragĂ© la croissance dĂ©mographique. Tout le monde ne profite pas de façon Ă©gale de la bonne Ă©conomie. Ceux qui sont dĂ©jĂ  privilĂ©giĂ©s profitent le plus de ses avantages, selon ce que la pensĂ©e systĂ©mique appelle la boucle de rĂ©troaction (‘on ne prĂȘte qu’aux riches’). Le rĂ©sultat est un Ă©cart croissant entre les riches et les pauvres. Seule une infime partie des richesses du monde est Ă  la portĂ©e des plus dĂ©munis, crĂ©ant ainsi des poches de souffrance et de famine extrĂȘmes. Bien qu’en thĂ©orie l’économie soit capable de produire suff­isam­ment pour nourrir la totalitĂ© de la population mondiale, le systĂšme de dis­tri­b­u­tion actuel ne le permet pas. Un jour viendra oĂč la population et l’économie atteindront leurs limites et stopperont leur croissance. Ainsi, l’humanitĂ© doit concevoir comment gĂ©rer les biens matĂ©riels, vers quelles per­spec­tives diriger la croissance qui se produit encore, Ă  quoi devrait ressembler le nouveau systĂšme socio-Ă©conomique et combien de souffrances elle est capable de supporter.

Quelles sont les limites Ă  la croissance?

L’ap­pro­vi­sion­nement Ă©nergĂ©tique ou en matiĂšres premiĂšres issues de la terre ne limitent pas la croissance. La majeure partie des ressources existe en abondance, mais y avoir accĂšs devient de plus en plus onĂ©reux. Lorsque le coĂ»t d’extraction des ressources dĂ©passera le rendement espĂ©rĂ©, l’économie commencera Ă  se contracter. Cependant, l’ĂȘtre humain Ă©puise et utilise de maniĂšre abusive les catĂ©gories de ressources suivantes, bridant ainsi la croissance Ă©conomique :

  1. Les ressources re­nou­ve­lables : Elles incluent les matiĂšres biotiques (les forĂȘts ou les poissons), les matiĂšres abiotiques (l’eau, par exemple) et la combinaison des deux (le sol). L’ĂȘtre humain surexploite ces ressources. En effet, la production alimentaire intensive a appauvri les sols. L’ac­croisse­ment dĂ©mographique a rĂ©duit les ressources en eau. La production alimentaire atteint un seuil limite, et pour nourrir une population toujours croissante, les hommes devront exploiter des terres moins arables, ceci se traduisant par des coĂ»ts plus Ă©levĂ©s et des rendements plus faibles.
  2. Les ressources non re­nou­ve­lables : MĂȘme si les estimations diffĂšrent quelque peu, la plupart des experts prĂ©disent un pic de la production pĂ©troliĂšre au cours de la premiĂšre moitiĂ© du XXIe siĂšcle, alors que la demande globale continuera d’augmenter aprĂšs cette pĂ©riode. Cette situation va perturber le systĂšme, mais elle contribuera nĂ©anmoins Ă  orienter l’économie vers la bonne voie en augmentant les incitations Ă  l’efficience et Ă  la con­ser­va­tion.
  3. Pollution et dĂ©chets : Consciente des dangers que prĂ©sentent certains polluants, la civil­i­sa­tion s’est attachĂ©e Ă  rĂ©duire leur utilisation. Cependant, elle n’a pas rĂ©ussi Ă  cir­con­scrire d’autres types de pollution comme les 65 000 produits chimiques industriels rĂ©guliĂšrement utilisĂ©s com­mer­ciale­ment, tels que les chlo­ro­flu­o­ro­car­bu­res (CFC), qui ont endommagĂ© la couche d’ozone de la planĂšte et le dioxyde de carbone, qui contribue Ă  l’effet de serre et au changement climatique.
« La terre a des ressources limitĂ©es. L’ac­croisse­ment de tout Ă©lĂ©ment physique tel que la population humaine, ses vĂ©hicules, ses con­struc­tions et ses usines ne peut durer Ă©ter­nelle­ment. »

RĂ©soudre les problĂšmes liĂ©s Ă  la pollution et Ă  l’ap­pau­vrisse­ment des ressources constituera un frein Ă  la croissance Ă©conomique. L’humanitĂ© agit actuelle­ment comme une personne qui puise dans son capital au lieu de vivre de ses intĂ©rĂȘts. Cela peut fonctionner un certain temps, mais au final cette personne se retrouve sans le sou.

Restaurer la couche d’ozone

Le changement est possible. L’histoire de la couche d’ozone est un exemple prometteur. En 1974, des sci­en­tifiques ont constatĂ© que les atomes de chlore dans les CFC pouvaient endommager la couche d’ozone. L’industrie et les gou­verne­ments ont de prime abord opposĂ© une rĂ©sistance manifeste et niĂ© l’existence du problĂšme, mais aux termes de nĂ©gociations complexes les nations ont signĂ© en 1987 le Protocole relatif aux substances qui ap­pau­vris­sent la couche d’ozone. Bien que sa mise en Ɠuvre ne soit pas aisĂ©e, ce protocole est la preuve que l’humanitĂ© peut se mobiliser et passer d’une attitude de­struc­trice Ă  une attitude basĂ©e sur la durabilitĂ©.

Le marchĂ© n’est pas la solution

De nombreux économistes sont convaincus que les forces du marché produiront des boucles de rétroaction négatives qui aug­menteront le prix des matériaux rares, obligeant ainsi les en­tre­pre­neurs avisés à intervenir et à trouver des solutions de sub­sti­tu­tion. De fait, il arrive parfois que de telles boucles de rétroaction remédient à ces problÚmes de surchauffe, à tout le moins par­tielle­ment. Cependant, ni la technologie ni les marchés ne constituent des solutions suffisantes pour les raisons suivantes :

  • Le processus cyclique du traitement de l’information : Les effets dĂ©sastreux d’un processus ne deviennent manifestes qu’aprĂšs des annĂ©es, voire des dĂ©cennies.
  • Les populations ou les rĂ©gions riches peuvent dĂ©placer les effets nĂ©gatifs du dĂ©veloppement vers les rĂ©gions voisines pauvres, comme des dĂ©charges de produits polluants.
  • Les gou­verne­ments peuvent rĂ©compenser des entreprises ayant surexploitĂ© des systĂšmes naturels, comme dans le cas de la pĂȘche en mer.

À quand la fin du monde ?

Si la civil­i­sa­tion est en Ă©tat de surchauffe et vacille au bord de l’ef­fon­drement en­vi­ron­nemen­tal, de combien de temps dispose l’humanitĂ© ? La rĂ©ponse courte est « Qui sait ? ». CrĂ©er des modĂšles prĂ©visionnels de civil­i­sa­tion tech­nologique globale est une chose complexe. Supposez par exemple que la croissance Ă©conomique n’ait pas de limites physiques. Dans ce scĂ©nario, la population mondiale augmente pour atteindre neuf milliards d’individus avant de se stabiliser en 2080 dans le cadre de sa transition dĂ©mographique. En Ă©mettant l’hypothĂšse que les politiques actuelles ne changent pas, vous constaterez une dĂ©gradation du niveau de vie durant les toutes premiĂšres dĂ©cennies du XXIe siĂšcle, une pollution accrue, un em­poi­son­nement de masse et des chocs irrĂ©guliers portĂ©s au systĂšme d’ici la fin du siĂšcle.

La société durable

Les systĂšmes naturels de notre planĂšte nous envoient des signaux clairs nous enjoignant de modifier nos pratiques courantes. Trois possibilitĂ©s d’action s’offrent Ă  nous :

  1. Le dĂ©ni : Ce n’est pas vraiment une solution, si ce n’est qu’elle procure un sentiment de bien-ĂȘtre provisoire.
  2. Des solutions techniques ou Ă©conomiques : Elles proposent par exemple des programmes exhaustifs de recyclage et de re­con­sti­tu­tion des ressources re­nou­ve­lables telles que les forĂȘts. Mal­heureuse­ment, l’application de ces programmes vertueux n’est efficace qu’à court terme et ils ne constituent que des solutions temporaires.
  3. Travailler sur les causes sous-ja­centes : En d’autres termes, changer le systĂšme dans son intĂ©gralitĂ©, ses structures sous-ja­centes et ses hypothĂšses Ă  propos de la nature du monde. L’humanitĂ© doit modifier ses normes, ses objectifs, ses attentes, ses pressions, ses motivations et ses coĂ»ts, c’est-Ă -dire tous les facteurs qui ont créé les boucles de rĂ©troaction positives qui ont poussĂ© la sociĂ©tĂ© vers l’état de surchauffe.
« Une sociĂ©tĂ© durable dispose de mĂ©canismes informatifs, sociaux et in­sti­tu­tion­nels permettant de maĂźtriser les boucles de rĂ©troaction positives qui entraĂźnent l’ac­croisse­ment exponentiel de la dĂ©mographie et du capital. »

PlutÎt que de poursuivre la croissance en tant que telle, la société devra apprendre à évaluer chaque nouvelle technologie en termes de critÚres de durabilité. Une société durable possÚde les caractéristiques suivantes :

  • Elle n’utilise des ressources re­nou­ve­lables qu’au rythme auquel elle peut les renouveler, tout comme elle n’utilise les ressources non re­nou­ve­lables qu’en proportion de sa capacitĂ© Ă  les remplacer par des ‘substituts re­nou­ve­lables’.
  • La pollution qu’elle Ă©met est pro­por­tion­nelle au taux et au niveau tolĂ©rables par l’en­vi­ron­nement.
  • Elle permet une grande diversitĂ© de cultures, mais est in­tran­sigeante sur la notion de boucle de rĂ©troaction qui permet la com­mu­ni­ca­tion prĂ©cise de l’information liĂ©e aux coĂ»ts Ă©cologiques de l’ensemble des choix.
  • Elle rĂ©agit de maniĂšre rapide Ă  tout dommage causĂ© au systĂšme naturel.
  • Elle planifie Ă  long terme.
  • Elle aborde les problĂšmes de pauvretĂ©, de chĂŽmage et de besoins physiques non satisfaits.
« Une sociĂ©tĂ© durable croit au dĂ©veloppement qualitatif et non pas Ă  l’expansion physique. Elle considĂšre la croissance matĂ©rielle comme un instrument et non pas comme un re­nou­velle­ment perpĂ©tuel. »

Toute personne peut crĂ©er ce type de sociĂ©tĂ© nouvelle et ce, de nombreuses façons. En tant qu’individu, vous pouvez prendre des actions correctives telles que la con­ser­va­tion de l’énergie et le recyclage, mais il ne s’agit lĂ  que de tremplins. Voici comment apporter une con­tri­bu­tion plus importante :

  • Vision : Imaginez Ă  quoi pourrait ressembler une sociĂ©tĂ© durable. Comment ĂȘtre sĂ»r que tout le monde a ce qu’il lui faut en quantitĂ© suffisante ? Comment rĂ©tablir l’équilibre Ă©cologique de l’économie ?
  • RĂ©seautage : Les rĂ©seaux peuvent informer leurs membres que les messages des politiques et des mĂ©dias prĂ©tendant que tout va bien et que des changements ne sont pas nĂ©cessaires sont erronĂ©s. Ils peuvent Ă©galement leur dĂ©montrer que les aver­tisse­ments ne sont pas des sinistres prophĂ©ties, mais plutĂŽt des ori­en­ta­tions pour passer Ă  l’action.
  • Ap­pren­tis­sage : Personne n’est Ă  mĂȘme de dire de quoi l’avenir sera fait ou Ă  quoi ressemble une sociĂ©tĂ© durable. La nature peut servir de modĂšle, mais dĂ©finir les caractĂ©ristiques particuliĂšres des sociĂ©tĂ©s durables exige un travail in­tel­lectuel – et de l’amour, afin que les gens apprennent Ă  se soutenir mutuelle­ment et Ă  aider la sociĂ©tĂ© Ă  survivre Ă  la crise qui se prĂ©pare.

À propos des auteurs

Donella Meadows a fondĂ© le Sus­tain­abil­ity Institute. Jorgen Randers est prĂ©sident Ă©mĂ©rite de la Norwegian School of Management. Dennis Meadows dirige l’Institute for Policy and Social Science Research de l’UniversitĂ© du New Hampshire.