Aller au-delà des limites et ses conséquences
LâhumanitĂ© est en Ă©tat de surchauffe. Trois causes communes contribuent Ă cet Ă©tat :
- La croissance, lâaccĂ©lĂ©ration et le changement rapide perturbent le systĂšme.
- Poussé au-delà de ses limites naturelles, le systÚme ne peut rester intact.
- Percevoir le problĂšme en retard peut allonger les dĂ©lais de rĂ©action face Ă lâĂ©tat de surchauffe ou son inÂterÂrupÂtion.
« Quâil y ait des limites Ă la croissance est tout simplement inÂimagÂinÂable pour beaucoup. En faire mention est politi- quement incorrect tout comme il est impensable dâenvisager cette option dâun point de vue Ă©conomique. »
Les signes les plus manifestes de surchauffe dans le monde dâaujourdâhui sont lâexplosion dĂ©mographique et la pollution massive, signes dont la cause sous-jaÂcente est lâaddiction de notre civilÂiÂsaÂtion Ă la croissance. Tout le monde ou presque associe croissance et progrĂšs. Cette croyance est avĂ©rĂ©e en ce qui concerne la richesse inÂdiÂviduÂelle, mais elle ne lâest pas dans le cas des systĂšmes, qui ont leurs propres limites. LâhumanitĂ© changera peut-ĂȘtre sa façon dâagir et crĂ©era une civilÂiÂsaÂtion durable, ou peut-ĂȘtre subira-t-elle une terrible catastrophe.
Les riches sâenÂrichissent
LâacÂcroisseÂment dĂ©mographique est âexponentielâ. De 1650 Ă 1965, le taux de croissance dĂ©mographique est passĂ© de 0,3 % Ă 2 %, un chiffre qui permettrait thĂ©oriquement un doublement de la population tous les 36 ans. Fort heureuseÂment, le rythme de croissance sâest ralenti, en raison dâun phĂ©nomĂšne connu sous le nom de âtransition dĂ©mographiqueâ, phĂ©nomĂšne qui intervient en moyenne deux gĂ©nĂ©rations aprĂšs lâinÂdusÂtriÂalÂiÂsaÂtion dâune rĂ©gion. La croissance Ă©conomique est Ă la fois cause et victime de la croissance dĂ©mographique. Au cours de notre histoire rĂ©cente, lâĂ©conomie a progressĂ© de maniĂšre exÂpoÂnenÂtielle et plus rapidement que la population, dans un cycle positif de croissance et de rĂ©inÂvestisseÂment. Lâabondance des ressources a encouragĂ© la croissance dĂ©mographique. Tout le monde ne profite pas de façon Ă©gale de la bonne Ă©conomie. Ceux qui sont dĂ©jĂ privilĂ©giĂ©s profitent le plus de ses avantages, selon ce que la pensĂ©e systĂ©mique appelle la boucle de rĂ©troaction (âon ne prĂȘte quâaux richesâ). Le rĂ©sultat est un Ă©cart croissant entre les riches et les pauvres. Seule une infime partie des richesses du monde est Ă la portĂ©e des plus dĂ©munis, crĂ©ant ainsi des poches de souffrance et de famine extrĂȘmes. Bien quâen thĂ©orie lâĂ©conomie soit capable de produire suffÂisamÂment pour nourrir la totalitĂ© de la population mondiale, le systĂšme de disÂtriÂbÂuÂtion actuel ne le permet pas. Un jour viendra oĂč la population et lâĂ©conomie atteindront leurs limites et stopperont leur croissance. Ainsi, lâhumanitĂ© doit concevoir comment gĂ©rer les biens matĂ©riels, vers quelles perÂspecÂtives diriger la croissance qui se produit encore, Ă quoi devrait ressembler le nouveau systĂšme socio-Ă©conomique et combien de souffrances elle est capable de supporter.
Quelles sont les limites Ă la croissance?
LâapÂproÂviÂsionÂnement Ă©nergĂ©tique ou en matiĂšres premiĂšres issues de la terre ne limitent pas la croissance. La majeure partie des ressources existe en abondance, mais y avoir accĂšs devient de plus en plus onĂ©reux. Lorsque le coĂ»t dâextraction des ressources dĂ©passera le rendement espĂ©rĂ©, lâĂ©conomie commencera Ă se contracter. Cependant, lâĂȘtre humain Ă©puise et utilise de maniĂšre abusive les catĂ©gories de ressources suivantes, bridant ainsi la croissance Ă©conomique :
- Les ressources reÂnouÂveÂlables : Elles incluent les matiĂšres biotiques (les forĂȘts ou les poissons), les matiĂšres abiotiques (lâeau, par exemple) et la combinaison des deux (le sol). LâĂȘtre humain surexploite ces ressources. En effet, la production alimentaire intensive a appauvri les sols. LâacÂcroisseÂment dĂ©mographique a rĂ©duit les ressources en eau. La production alimentaire atteint un seuil limite, et pour nourrir une population toujours croissante, les hommes devront exploiter des terres moins arables, ceci se traduisant par des coĂ»ts plus Ă©levĂ©s et des rendements plus faibles.
- Les ressources non reÂnouÂveÂlables : MĂȘme si les estimations diffĂšrent quelque peu, la plupart des experts prĂ©disent un pic de la production pĂ©troliĂšre au cours de la premiĂšre moitiĂ© du XXIe siĂšcle, alors que la demande globale continuera dâaugmenter aprĂšs cette pĂ©riode. Cette situation va perturber le systĂšme, mais elle contribuera nĂ©anmoins Ă orienter lâĂ©conomie vers la bonne voie en augmentant les incitations Ă lâefficience et Ă la conÂserÂvaÂtion.
- Pollution et dĂ©chets : Consciente des dangers que prĂ©sentent certains polluants, la civilÂiÂsaÂtion sâest attachĂ©e Ă rĂ©duire leur utilisation. Cependant, elle nâa pas rĂ©ussi Ă cirÂconÂscrire dâautres types de pollution comme les 65 000 produits chimiques industriels rĂ©guliĂšrement utilisĂ©s comÂmerÂcialeÂment, tels que les chloÂroÂfluÂoÂroÂcarÂbuÂres (CFC), qui ont endommagĂ© la couche dâozone de la planĂšte et le dioxyde de carbone, qui contribue Ă lâeffet de serre et au changement climatique.
« La terre a des ressources limitĂ©es. LâacÂcroisseÂment de tout Ă©lĂ©ment physique tel que la population humaine, ses vĂ©hicules, ses conÂstrucÂtions et ses usines ne peut durer Ă©terÂnelleÂment. »
RĂ©soudre les problĂšmes liĂ©s Ă la pollution et Ă lâapÂpauÂvrisseÂment des ressources constituera un frein Ă la croissance Ă©conomique. LâhumanitĂ© agit actuelleÂment comme une personne qui puise dans son capital au lieu de vivre de ses intĂ©rĂȘts. Cela peut fonctionner un certain temps, mais au final cette personne se retrouve sans le sou.
Restaurer la couche dâozone
Le changement est possible. Lâhistoire de la couche dâozone est un exemple prometteur. En 1974, des sciÂenÂtifiques ont constatĂ© que les atomes de chlore dans les CFC pouvaient endommager la couche dâozone. Lâindustrie et les gouÂverneÂments ont de prime abord opposĂ© une rĂ©sistance manifeste et niĂ© lâexistence du problĂšme, mais aux termes de nĂ©gociations complexes les nations ont signĂ© en 1987 le Protocole relatif aux substances qui apÂpauÂvrisÂsent la couche dâozone. Bien que sa mise en Ćuvre ne soit pas aisĂ©e, ce protocole est la preuve que lâhumanitĂ© peut se mobiliser et passer dâune attitude deÂstrucÂtrice Ă une attitude basĂ©e sur la durabilitĂ©.
Le marchĂ© nâest pas la solution
De nombreux Ă©conomistes sont convaincus que les forces du marchĂ© produiront des boucles de rĂ©troaction nĂ©gatives qui augÂmenteront le prix des matĂ©riaux rares, obligeant ainsi les enÂtreÂpreÂneurs avisĂ©s Ă intervenir et Ă trouver des solutions de subÂstiÂtuÂtion. De fait, il arrive parfois que de telles boucles de rĂ©troaction remĂ©dient Ă ces problĂšmes de surchauffe, Ă tout le moins parÂtielleÂment. Cependant, ni la technologie ni les marchĂ©s ne constituent des solutions suffisantes pour les raisons suivantes :
- Le processus cyclique du traitement de lâinformation : Les effets dĂ©sastreux dâun processus ne deviennent manifestes quâaprĂšs des annĂ©es, voire des dĂ©cennies.
- Les populations ou les régions riches peuvent déplacer les effets négatifs du développement vers les régions voisines pauvres, comme des décharges de produits polluants.
- Les gouÂverneÂments peuvent rĂ©compenser des entreprises ayant surexploitĂ© des systĂšmes naturels, comme dans le cas de la pĂȘche en mer.
Ă quand la fin du monde ?
Si la civilÂiÂsaÂtion est en Ă©tat de surchauffe et vacille au bord de lâefÂfonÂdrement enÂviÂronÂnemenÂtal, de combien de temps dispose lâhumanitĂ© ? La rĂ©ponse courte est « Qui sait ? ». CrĂ©er des modĂšles prĂ©visionnels de civilÂiÂsaÂtion techÂnologique globale est une chose complexe. Supposez par exemple que la croissance Ă©conomique nâait pas de limites physiques. Dans ce scĂ©nario, la population mondiale augmente pour atteindre neuf milliards dâindividus avant de se stabiliser en 2080 dans le cadre de sa transition dĂ©mographique. En Ă©mettant lâhypothĂšse que les politiques actuelles ne changent pas, vous constaterez une dĂ©gradation du niveau de vie durant les toutes premiĂšres dĂ©cennies du XXIe siĂšcle, une pollution accrue, un emÂpoiÂsonÂnement de masse et des chocs irrĂ©guliers portĂ©s au systĂšme dâici la fin du siĂšcle.
La société durable
Les systĂšmes naturels de notre planĂšte nous envoient des signaux clairs nous enjoignant de modifier nos pratiques courantes. Trois possibilitĂ©s dâaction sâoffrent Ă nous :
- Le dĂ©ni : Ce nâest pas vraiment une solution, si ce nâest quâelle procure un sentiment de bien-ĂȘtre provisoire.
- Des solutions techniques ou Ă©conomiques : Elles proposent par exemple des programmes exhaustifs de recyclage et de reÂconÂstiÂtuÂtion des ressources reÂnouÂveÂlables telles que les forĂȘts. MalÂheureuseÂment, lâapplication de ces programmes vertueux nâest efficace quâĂ court terme et ils ne constituent que des solutions temporaires.
- Travailler sur les causes sous-jaÂcentes : En dâautres termes, changer le systĂšme dans son intĂ©gralitĂ©, ses structures sous-jaÂcentes et ses hypothĂšses Ă propos de la nature du monde. LâhumanitĂ© doit modifier ses normes, ses objectifs, ses attentes, ses pressions, ses motivations et ses coĂ»ts, câest-Ă -dire tous les facteurs qui ont créé les boucles de rĂ©troaction positives qui ont poussĂ© la sociĂ©tĂ© vers lâĂ©tat de surchauffe.
« Une sociĂ©tĂ© durable dispose de mĂ©canismes informatifs, sociaux et inÂstiÂtuÂtionÂnels permettant de maĂźtriser les boucles de rĂ©troaction positives qui entraĂźnent lâacÂcroisseÂment exponentiel de la dĂ©mographie et du capital. »
PlutÎt que de poursuivre la croissance en tant que telle, la société devra apprendre à évaluer chaque nouvelle technologie en termes de critÚres de durabilité. Une société durable possÚde les caractéristiques suivantes :
- Elle nâutilise des ressources reÂnouÂveÂlables quâau rythme auquel elle peut les renouveler, tout comme elle nâutilise les ressources non reÂnouÂveÂlables quâen proportion de sa capacitĂ© Ă les remplacer par des âsubstituts reÂnouÂveÂlablesâ.
- La pollution quâelle Ă©met est proÂporÂtionÂnelle au taux et au niveau tolĂ©rables par lâenÂviÂronÂnement.
- Elle permet une grande diversitĂ© de cultures, mais est inÂtranÂsigeante sur la notion de boucle de rĂ©troaction qui permet la comÂmuÂniÂcaÂtion prĂ©cise de lâinformation liĂ©e aux coĂ»ts Ă©cologiques de lâensemble des choix.
- Elle réagit de maniÚre rapide à tout dommage causé au systÚme naturel.
- Elle planifie Ă long terme.
- Elle aborde les problÚmes de pauvreté, de chÎmage et de besoins physiques non satisfaits.
« Une sociĂ©tĂ© durable croit au dĂ©veloppement qualitatif et non pas Ă lâexpansion physique. Elle considĂšre la croissance matĂ©rielle comme un instrument et non pas comme un reÂnouÂvelleÂment perpĂ©tuel. »
Toute personne peut crĂ©er ce type de sociĂ©tĂ© nouvelle et ce, de nombreuses façons. En tant quâindividu, vous pouvez prendre des actions correctives telles que la conÂserÂvaÂtion de lâĂ©nergie et le recyclage, mais il ne sâagit lĂ que de tremplins. Voici comment apporter une conÂtriÂbuÂtion plus importante :
- Vision : Imaginez Ă quoi pourrait ressembler une sociĂ©tĂ© durable. Comment ĂȘtre sĂ»r que tout le monde a ce quâil lui faut en quantitĂ© suffisante ? Comment rĂ©tablir lâĂ©quilibre Ă©cologique de lâĂ©conomie ?
- RĂ©seautage : Les rĂ©seaux peuvent informer leurs membres que les messages des politiques et des mĂ©dias prĂ©tendant que tout va bien et que des changements ne sont pas nĂ©cessaires sont erronĂ©s. Ils peuvent Ă©galement leur dĂ©montrer que les averÂtisseÂments ne sont pas des sinistres prophĂ©ties, mais plutĂŽt des oriÂenÂtaÂtions pour passer Ă lâaction.
- ApÂprenÂtisÂsage : Personne nâest Ă mĂȘme de dire de quoi lâavenir sera fait ou Ă quoi ressemble une sociĂ©tĂ© durable. La nature peut servir de modĂšle, mais dĂ©finir les caractĂ©ristiques particuliĂšres des sociĂ©tĂ©s durables exige un travail inÂtelÂlectuel â et de lâamour, afin que les gens apprennent Ă se soutenir mutuelleÂment et Ă aider la sociĂ©tĂ© Ă survivre Ă la crise qui se prĂ©pare.